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L'escamoteur: vers une écologie de l'attention

 

 

 

 

 

 

 

Alternant les méthodes de l’enquête criminelle, artistique, politique et sociale, cette investigation s’attache à "L'escamoteur" de Jérôme Bosch (ou disciple), une oeuvre qui semble anticiper de manière saisissante sur les formes contemporaines de manipulation de l'attention collective.

En actualisant cette scène, peut-on y voir une forme de modélisation qui permettrait de penser des problèmes propres à notre époque? Durant plusieurs années, cette question a motivé la collecte de nombreux documents et entretiens, lesquels se déploient aujourd’hui sous forme d’installations et de conférences/performances

L’enquête retrace ainsi le parcours des objets et des personnes qui se sont liés à ce tableau au destin mouvementé: repris par des caricaturistes dans l’immédiat après-mai 68, volée par l’un des fondateurs du groupe Action Directe à la fin des années 70, et recelant probablement l’une des énigmes visuelles les mieux dissimulées de son époque. L’occasion de s’interroger, en dialogue avec les recherches du penseur Yves Citton, sur l’ "écologie de l’attention" qu’il appelle de ses voeux.



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Jérôme Bosch [ou disciple], L’Escamoteur, peint après 1496, huile sur bois, 53 x 65 cm, coll. Musée municipal de Saint- Germain-en-Laye

> projets: On balls and brains (performance), Les Urbaines, Lausanne; Piano Nobile, Genève; théâtre de Fontainebleau; FRAC Champagne-Ardenne, Reims; Black Mamba, Paris; Théâtre de l'Usine, Genève; Musée MACVAL, Vitry-sur-Seine
> On balls and brains (installation)
> textes: L’Escamoteur: économie de l’illusion, écologie de l’attention
in Puissances de l’illusion, Presses universitaires de Grenoble
L’Escamoteur, ou le crime envisagé
in CCC Newsletter#10

What is interesting is not the image as a representation of reality, but its dynamic power, its ability to stir up and build projections, interactions and narrative frames structuring reality. What is interesting in the image is its ability to select among infinite possible perceptual experiences, so that imagination becomes imagin/action.
Franco Berardi (Bifo), The image dispositif

Un dispositif que ses victimes activent malgré elles, c’est cela la définition
d’un système sorcier!
I.Stengers et P.Pignarre, La sorcellerie capitaliste


Et dans un recoin – je t’assure que c’était un recoin sombre – , je découvre le tableau. C’était très bizarre parce que l’impact de le trouver, je ne sais pas, ça m’a fait siffler l’oreille. Une sensation physique qui s’est produite devant ce tableau. C’est un tableau vraiment très impressionnant, assez grand, de format cinémascope. Et il a une intensité de couleurs, de cette première vision je me souviens d’une couleur bleue métallisée, je ne sais même pas si elle existe dans le tableau. Ça m’a laissé cette impression de bleu très intense. Le tableau est vraiment un tableau extraordinaire. Par une sorte de relief, une juxtaposition de personnages et de couleurs, de robes moyenâgeuses qui sont toutes d’une couleur pétante. Tu as des bruns, des ocres, des rouges, tu as les coiffes des personnages. Non vraiment, la découverte du tableau est un moment intense.

Extrait d'un entretien avec Jean-Marc Rouillan, décrivant le vol du tableau en 1979

 

Schéma des éléments de la table
"On balls and brains (ces balles qui nous restent dans le cerveau", carte à gratter

Attention is like water. It flows. It’s liquid. You create channels to divert it, and you hope that it flows the right way.

Apollo Robbins, pickpocket

 

 

Tim, L’Express, 31 mars- 6 avril 1969
Piem, Le Figaro, 6 mars 1972

L'escamoteur, modélisation exemplaire des manipulations de l'attention collective. Moins d'un an après mai 68, le dessinateur Tim en tire un commentaire sur la crise politique qui secoue la France. Quelques années plus tard, son confrère Piem s'en saisi cette fois pour représenter la création de la monnaie européenne, comme une forme de tour de passe-passe économique.

 

 

"On balls and brains" au Théâtre de Fontainebleau / CCS-Paris, en 2014 Photo Sylvain Gouraud
Performance and installation.

 

À partir de cette collecte de témoignages réalisée pendant plusieurs années, l’enquête a d’abord donné lieu à une série de conférences-performances présentée dans des centres d’art, théâtres et festivals dès 2013. Element central du dispositif est un simple rétroprojecteur, qui permet de retracer les schémas des joueurs de bonneteau et l’analyse du tableau de Bosch, tout en alternant récit d’enquête et questionnements théoriques sur la marchandisation de notre attention.
En 2016, le projet a été présenté dans une installation à Bâle. Avec un montage d’extraits sonores dont les sous-titres étaient projetés sur un canevas, ainsi qu’une sélection de dessins sur cartes à gratter, l’installation a valu à l’artiste un prix fédéral d’art (Swiss Art Award).

"On balls and brains" au Swiss Art Awards à Bâle, en 2016 Photo Guadalupe Ruiz
Enquêtes en RDC.

 

Suite à ces développements, l’enquête a rebondit en République Démocratique du Congo, avec une collecte de récits locaux liés à des expériences d’escamotage et de manipulations. Qu’est-ce qui capte, oriente ou détourne notre attention? Qu’est-ce qui apparaît et qu’est-ce qui disparaît dans notre environnement quotidien? Quels sont les forces qui organisent ces mouvements et dans quel but?
À l’invitation de la 9e Biennale de Lubumbashi en 2017, une première recherche fut menée dans la région minière du Katanga avec David Douglas Masamuna et Blaise Musaka, conduisant à la réalisation d’une installation comprenant des affiches, une pièce sonore et des performances.
La recherche s’est par la suite poursuivie à Kinshasa, toujours avec Blaise Musaka, dans le cadre de la Biennale Yango de 2022. Les collectes de récits locaux ont alors donné lieu à une installation et performance de rue, en collaboration avec Michael Disanka, Christiana Tabaro et leur collectif D’Art-D’Art.

En résidence d'enquête à Kinshasa avec Blaise Musaka, novembre 2021
La performance "COOP KIN (L'Escamoteur à Kinshasa)" en 2024