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Il y a aussi deux dates séparées par un petit tiret. Elle n’aime pas regarder le tiret qui contient toute la vie de Madame, sa longue vie. Mais à regarder ce tiret minuscule, il semble que ce n’était rien du tout qu’un tout petit moment entre deux immenses Portes, celle de l’Entrée et celle de la Sortie. Et presque rien du tout entre les deux. *
Le Tiret d’Alice Rivaz
Avec l’Institut d’étude des intervalles
Dans ses romans et nouvelles, Alice Rivaz s’était résolument détournée des figures et événements dominants de l’Histoire pour prêter attention aux interstices, aux récits et aspirations des sans-voix. Son engagement remarqué pour les droits des femmes et la dignité des plus humbles ne passait pas par une approche théorique ou surplombante, mais par une écriture au plus proche des êtres et de leur parcours de vie. Reconnue comme une romancière majeure de la littérature romande, pionnière de l’engagement féministe dans la littérature francophone (son roman La Paix des Ruches, publié à Paris en 1947, précède de deux ans Le Deuxième sexe de Simone de Beauvoir), elle a pourtant occupé pendant longtemps une place étonnamment discrète dans la mémoire collective, dont témoigne la facture modeste de sa tombe au cimetière des Rois. Toujours aussi actuelle, son œuvre connaît cependant aujourd’hui un regain de diffusion significatif, soutenu par le travail de l’Association Alice Rivaz et des spécialistes de son œuvres, telles que Françoise Fornerod et Valérie Cossy.*
Au cimetière des Rois, parmi les monuments dédiés à la mémoire des personnalités de Genève, se trouve la tombe de l'écrivaine Alice Rivaz (1901 - 1998), connue comme l'une des grandes plumes de la littérature suisse du XXe siècle et romancière féministe pionnière. Cette tombe, à la fois élégante et étonnamment discrète, consiste en un fragment de roche orné de lettres en métal, comprenant son nom, ses dates de naissance et de mort et, entre les deux : un tiret.
Dans deux de ses nouvelles rédigées à plus de quarante années d'intervalles ("Une Marthe" en 1944, "La Bonne" en 1985), Alice Rivaz a évoqué ce tiret sur nos tombes qui serait sensé "contenir toute notre vie", mais qui ne dit plus rien de la richesse des expériences et des relations qui ont composé notre existence. Sous sa plume, le tiret traduit toute la tension entre le point d’entrée et de sortie, entre une époque et une autre, que nos différents parcours de vie nous conduisent à traverser. Ce mouvement parfois douloureux est fait d’une succession de couches, épaisses, que l’on doit percer, et qui évoquent aussi bien la condition des femmes de son époque que le sort des humbles, des subalternes: des personnes assignées au travail de soin et d’attention aux autres, si souvent invisibilisées, auxquelles Rivaz tente de prêter voix.
Intrigué par cette image du tiret et ses multiples résonances, j’ai commencé une recherche qui m’a fait cheminer entre la vie et l’œuvre de la romancière, à la rencontre de membres de sa famille, de spécialistes de son œuvre et des personnes impliquées dans la réalisation de son monument funéraire.
La recherche a donné lieu dans un premier temps à une conférence-performance, mêlant récit d'enquête et séance d'écoute de fragments sonores, intitulée "Le Tiret d'Alice Rivaz (Habiter l'intervalle)". Inaugurée en 2016 lors de l’exposition "Open End" au cimetières des Rois, elle a depuis été régulièrement présentée à Genève dans divers festivals et institutions.
En 2020, à l’invitation de la Triennale Bex & Arts, j’ai fait concevoir une sculpture en granit à l’image du tiret d’Alice Rivaz, faisant également office de banc. Présentée dans le parc Szilassy durant l’exposition, puis installée de manière pérenne dans le parc du centre d'art de la Villa Bernasconi à Lancy, la sculpture Le Tiret est pensée pour accueillir un programme régulier de rencontres, lectures et performances faisant échos aux engagements de la romancière. Un collectif s’est constitué avec des spécialistes et amateurices de Rivaz issu-e-s de plusieurs domaines des arts et de la recherche: l'Institut d'étude des intervalles (iEi). Celui-ci est mandaté par la Villa Bernasconi pour organiser ce programme public sur une période de dix années, de 2021 à 2031.
Le site Internet du projet permet de diffuser les archives sonores de ces événements, des courts films réalisés par la réalisatrice Laura Cazador, des éditions originales et des cartes blanches : i-e-i.net
Un moulage en bronze du tiret de la tombe de Rivaz a été donné à chaque personne ayant contribué à l’enquête par son témoignage, en guise de contre-don.
Alice Rivaz: écrire dans les interstices.
Performance et programme collectif.
* Alice Rivaz, "La Bonne" (1985), in Sans Alcool, éd. Zoé, Genève, 1998/2015
** Françoise Fornerod, Alice Rivaz, Pêcheuse et bergère de mots, éd. Zoé, Genève, 1998; Valérie Cossy, Alice Rivaz, Devenir romancière, éd. Suzanne Hurter, Genève, 2015
> projets : Le Tiret d'Alice Rivaz (Habiter l'intervalle)
Le Tiret [sculpture et programme public]
> texte: Le Tiret